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Un concours d'écriture
--> ou comment Diderot m'a inspirée
En première, alors que je préparais le bac de français (et j'avais hâte !), j'ai participé à un concours d'écriture.

• LES DISPARITIONS, OU COMMENT LES CHOSES ONT CHANGÉ
Par MC (catégorie Lycée)

«Hâtons-nous de rendre la philosophie populaire. Si nous voulons que
les philosophes marchent en avant, approchons le peuple du point où en
sont les philosophes. » [Diderot]

1771, dans une contrée éclairée par les Lumières, Europe.

La marquise était sortie à cinq heures.
À dire vrai, la marquise sortait toujours à cinq heures. Mais
aujourd’hui, personne ne comprenait. Huit heures étaient passées,
la table était mise, et les domestiques attendaient. Si la
femme de chambre semblait inquiète, le valet restait impassible,
adossé au mur, guettant un mouvement de la porte. Mais tous
deux frémissaient de curiosité.
Digressions
Madame la marquise était toujours à l’heure, toujours organisée
comme il fallait, et elle ne laissait jamais rien au hasard.
Fallait-il qu’elle soit morte, pour ne pas être là…
En fait non, Madame n’était pas morte. Mais le seul à le savoir
avait juré, promis de toutes les manières possibles qu’il ne dirait
rien.
Et le temps s’écoula, l’inquiétude augmenta, on prévint son
ami le comte, sa soeur qui résidait en proche province, et d’autres
gens qui ne la connaissaient pas mais toujours à l’affût d’une
affaire sortant de l’ordinaire. On questionna les personnes
qu’elle avait visitées récemment, l’ensemble de ses domestiques,
son confesseur. Mais ils ne savaient rien ou, du moins, ne disaient
rien.
Le lendemain matin, il fallut se rendre à l’évidence, la marquise
avait disparu.
Bien sûr, depuis la mort de son époux, il y avait quelques
années, il lui arrivait quelques petites aventures, qu’elle cachait
au grand monde afin de garder sa réputation. Mais toujours elle
prévenait sa femme de chambre, qui lui était fidèle depuis un
certain temps déjà. Mais même cette femme-là était à cet instant
dans l’ignorance complète, totalement déconcertée.
Il était donc sûr que la marquise devait être déclarée disparue.
Quel grand mystère que celui d’une disparition!… Aucun
indice, et tellement de rumeurs…
On décida de mener l’enquête. Son secrétaire fut fouillé, sans
aucune retenue pour cette intimité passée. On n’y découvrit rien
d’intéressant, quelques lettres enflammées, des romans de ces
philosophes des Lumières, un bijou offert par son mari décédé.
Vraiment rien d’intéressant, donc. L’enquête fut abandonnée.
Quelque temps cette disparition fut à la mode, centre de nombreuses
conversations dans ces soirées où se retrouvaient les
riches et les renommés. Et puis, le temps passant, apportant de
nouveaux sujets de préoccupations, on oublia…

Un an plus tard, dans cette même contrée toujours éclairée par les
Lumières.

Nouvelle disparition étonnante. Un comte de grande renommée,
très réputé et apprécié de tous, bel esprit et beau parleur,
fut perdu de vue. On ne le trouvait ni chez lui, ni chez ses maîtresses.
On ne recevait aucune nouvelle; et même les rumeurs
restaient vides.
Une seconde fois, une enquête débuta, mais chez le comte
non plus, on ne trouva rien qui puisse justifier cette brusque disparition.
Des livres, beaucoup de livres, en partie écrits par des
philosophes éclairés. Décidément, ceux-ci étaient partout.

Deux ou trois mois après, la mort d’un aumônier frappa de
nombreux fidèles. Les circonstances furent camouflées, mais
toujours des rumeurs prétendaient quelque raison obscure. Et
puis, on se souvenait qu’il avait prétendu, un soir de fatigue,
qu’un religieux ne pouvait pas être homme. Sur le moment, personne
n’y avait fait attention ; il lui arrivait parfois, depuis qu’il
était revenu de cette lointaine contrée, d’exprimer quelques propos
absurdes.
Tout ce mystère en arriva à faire dire au monde que l’aumônier
s’était lui-même donné la mort. En s’empoisonnant.
Normalement, il aurait donc dû être brûlé, mais personne,
excepté quelques cyniques, n’osa prononcer cette sentence.

La vie continuait et de nouvelles disparitions se succédaient,
toujours entourées de ce même mystère. Personne n’avait été
retrouvé, même si, après que trois ou quatre esprits du grand
monde se furent volatilisés, des enquêtes plus poussées furent
mises en oeuvre.
Mais rien, absolument rien du tout pour amorcer une piste. À
part le fait que tous connaissaient des essais de philosophes
connus… Cet élément paraissait pourtant négligeable, un livre
ne pouvait faire disparaître !
Quelques illuminés furent poussés à le croire, mais on décida
d’écarter cette piste. Il n’en restait alors plus aucune. On ne
retrouva jamais non plus de corps mutilés ou morts, ni en province
ni dans les contrées avoisinantes.
Alors, encore une fois, on oublia. On fait bien d’oublier ces
choses-là, qui restent impénétrables, incompréhensibles. À quoi
cela aurait-il servi de consacrer plus de temps à ces histoires-la ?

1774, dans cette même contrée, dont l’éclairage n’a pas perdu d’éclat.

Et puis, quelqu’un lut. Quelqu’un lut vraiment. Quelqu’un de
discret, qui s’était intéressé à toutes ces disparitions étranges, qui
révélaient en lui l’envie de fuite. Alors il lut les oeuvres communes
retrouvées chez chacun des disparus, il y passa du temps,
à lire entre les lignes, à annoter le plus important, à saisir les subtilités.
Et enfin, il sut. Parce que tout cela était finalement évident,
parce que tout était justifié, et parfaitement compréhensible.
Parce que rien ne manquait de sens, bien au contraire.
Pour résumer, tous avaient lu Le Voyage de Bougainville, ou bien
son Supplément. Et tous avaient perdu foi en la civilisation.
Mais qui donc allait y croire ? Qui donc pouvait croire que tous
ces hommes et femmes, si bien intégrés, étaient partis à corps
perdu vers le paradis sauvage qu’on leur avait tant décrit? Qui
Digressions
accepterait cette folie démesurée, ce non-sens absurde? Qui pouvait
comprendre, à part eux-mêmes, à quel point la misère de
leur contrée éclairée leur était apparue comme une révélation,
comme un tournant décisif ?
Alors il se tut. Lui savait et cela suffisait. De toutes les
manières, plus personne ne s’intéressait à cela.

Les années suivantes, influencées par les Lumières.

De plus en plus de maisons se vidèrent.
Les gens s’étonnaient, prenaient peur d’une quelconque
malédiction, mais continuaient tout de même à vivre, entourés
de ces nombreuses fuites de nobles inexpliquées.
Arriva un jour où on ne compta plus que deux marquises dans
cette vaste contrée. Puis plus du tout. À partir de ce moment, les
disparitions touchèrent aussi le petit peuple lettré, et enfin le
petit peuple illettré.
Le pays se vida ; une rumeur venue d’ailleurs prétendait qu’ils
étaient tous partis se réfugier là où la vie était plus douce, là où
la nature était loi. Cette rumeur avait sûrement raison; on écuma
les mers, on ne trouva rien
Les gens curieux s’aventurant dans cette contrée ne rencontrèrent
que le silence, et des livres flétris par l’absence, ces livres
philosophiques blâmant la civilisation, ces livres évoquant un
ailleurs meilleur et sans contraintes, ces livres à faire rêver, à
accuser, à mettre les hommes en face de leurs faiblesses.
Et ces gens curieux comprenaient à leur tour, et finissaient par
disparaître.
Les autres restèrent, indifférents.

Ainsi les grands philosophes dépeuplèrent l’Europe des utopistes,
laissant ses contrées plongées dans une réalité
sanguinaire.
Ainsi, les grands philosophes échouèrent, écartant de cette
puissance les grandes et nobles âmes.
Ecrit par Henhygmah, le Mercredi 26 Mars 2008, 11:21 dans la rubrique ..